Droits des femmes en Afrique et dans le Monde Pour les femmes authentiques

CÔTE D’IVOIRE : UNE LOI SUR LA PARITÉ PERMETTRA-T-ELLE DE RÉSOUDRE EFFICACEMENT LE PROBLÈME DE LA SOUS-REPRÉSENTATIVITÉ DES FEMMES DANS LES INSTANCES DÉCISIONNELLES ?

        Estimées à 49% de la population Ivoirienne selon le rapport de recensement démographique de 2014, les femmes quoique instruites et présentes dans tous les secteurs d’activités comme les hommes, sont très peu représentées dans les instances décisionnelles. En politique, les femmes demeurent la cheville ouvrière des partis politiques dans la mise en œuvre des stratégies et directives en ce sens qu’elles sont les plus grandes mobilisatrices de partisans sur le terrain. Aussi constituent-elles une clientèle électorale importante vu que les femmes participent aux différentes élections à un taux plus élevé que les hommes. Malgré cet état de fait, elles parviennent difficilement à se hisser au sommet après 55 ans d’indépendance de la Côte d’Ivoire. En effet, depuis la première législature datant de 1959 à 1960, jusque 1970, aucune femme n’avait siégé au parlement sur un total de 233 députés. Ce n’est qu’à partir de la 4ème législature en 1971 que trois (3) femmes firent leur entrée au parlement ivoirien sur 101 députés. Leur nombre s’est alors accru au fil des années avec quelques digressions par moment.

Législature

Période

Nombre de Députés

Nombre de femmes

Pourcentage (%) de Femmes

5ème Législature

1975 à 1980

117

10

8,54 %

6ème Législature

1981 à 1985

147

08

5,44%

7ème Législature

1985 à 1990

175

19

10,85 %

8ème Législature

1990 à 1995

175

19

10,85%

9ème Législature

1995 à 2000

223

19

8,52%

10ème Législature

2001 à 2010

225

19

8,44%

11ème Législature

2011 à 2016

255

23

9,01%

12ème Législature ou 1ère Législature de la troisième République

 

2016 à 2021

 

254

 

29

 

11,41%

 

         Cette sous-représentativité des femmes se perçoit également dans les postes nominatifs : les gouvernements qui se sont succédés depuis 1961 à 2017 ont compté peu de femmes. Ainsi, de 1961 à 1974, aucune femme n’était ministre. De 1976 à 1981 et de 1986 à 1989, les gouvernements n’avaient compté qu’une seule femme ministre en leur sein. À partir de 1990, trois femmes font leurs entrées au gouvernement. Par la suite, les chiffres avaient chevauché entre 2 et 3 jusqu’en 2000 où le nombre de femmes ministres était de 4 sur 25 ministres. Puis sur une trentaine de ministres des différents gouvernements qui se sont succédés, les chiffres sont restés entre 5 et 6 jusqu’en 2015 où neuf (9) femmes sont nommées ministres sur un total de 36 postes. Enfin, le gouvernement Ivoirien de 2017 compte à ce jour : 6 femmes sur un total de 28 postes ministériels soit un pourcentage de 21% comparé à 2015 qui était de 25%. Nous ferons l’économie des autres nominations (diplomatie, administrations publiques, EPN, EPA, Préfectures et Départements) où la situation est encore peu enviable.  

Qu’est ce qui explique cet état de fait ?

        Malgré l’évolution de la société, les barrières culturelles et barrières au sein des partis politiques persistent constituant ainsi des entraves à la représentativité des femmes. Ce sont entre autre : le poids des préjugés et perceptions culturelles qui astreignent le rôle de la femme à l’arrière-plan : « La femme ne doit pas commander. Ce sont les hommes qui commandent naturellement. », «Les femmes ne seraient pas assez ambitieuses, n’auraient pas les qualités requises pour être de bons politiques… ». 

Là où se concentrent le pouvoir et les influences, les préjugés ont la vie dure !  Le manque de promotion des candidates, difficultés pour les femmes à obtenir une position éligible, le système électoral qui limite le renouvellement du personnel politique, le manque de formation en leadership féminin, le manque de moyens financiers et de réseau de solidarité. À ce propos, il faut noter que les réseaux de pouvoir sont souvent informels, ils s’appuient sur des relations et des vecteurs d’influence établis de longue date, ils restent inaccessibles aux nouveaux-venus et en particulier aux femmes.

Au vu de ces différents facteurs, les un(e)s et les autres jugent alors de la nécessité de l’instauration d’une loi sur la parité en Côte d’Ivoire qui à travers l’imposition des quotas permettront de résoudre ce problème de la sous-représentativité des femmes.

        Selon l’Union Interparlementaire, au 1er novembre 2015, parmi les 20 pays comportant le plus de femmes au sein de leur parlement, 7 sont des pays africains : le Rwanda (64% de femmes élues au sein de la Chambre des députés, soit 51 sur 80 sièges), le Sénégal (près de 44% de femmes élues sur les 150 sièges de l'assemblée), l’Afrique du sud (42,3%), la Namibie (46 femmes élues à l'assemblée nationale pour 56 hommes pour la dernière législature), le Mozambique (39,2%), l’Angola (38,2%) et l’Éthiopie (27,8%). D’autres pays sont bien moins classés comme le Bénin et le Nigéria, respectivement 7,2% et 5,6%. Ainsi, ces 7 pays qui enregistrent ces différents pourcentages ont adopté dans leur législation, une loi sur la parité incluant le quota.

Qu’est-ce que donc la parité et le quota ?

Définie comme l’égalité quantitative garantie pour l’accès à certaines fonctions électives, la parité est un concept qui se présente comme une « demande d’égalité » et comme « la reconnaissance d’une altérité socialement construite ». Elle échappe au dilemme classique que soulève la citoyenneté des femmes en démocratie : choisir entre l’égalité et la prise en compte de la différence sexuelle.  Cependant, elle n’est pas équivaut à un quota : « ce n’est pas 50% - 50%, écrit Eliane Vogel-Polsky. On exige la parité au nom de l’égalité de statut, et non pas au nom de la représentation d’une minorité ». La parité est votée à titre définitif alors que le quota est, en principe, une mesure transitoire. Le quota est donc un pourcentage ou un contingent (limite quantitative fixée par une autorité publique pour l’exercice d’un droit ou la participation à une charge) déterminé imposé ou autorisé. Il repose sur l’idée que les femmes doivent être présentes, selon un certain pourcentage, dans les divers organes de l’État, que ce soit sur les listes de candidatures, dans les assemblées parlementaires, les commissions ou le gouvernement ainsi que dans les entreprises.

La représentation paritaire des femmes et des hommes à la vie politique est pour ainsi dire, l’un des fondements de la démocratie. « Il ne saurait y avoir de démocratie sans un véritable partenariat entre hommes et femmes dans la conduite des affaires publiques où hommes et femmes agissent dans l'égalité et la complémentarité, s'enrichissant mutuellement de leurs différences » peut-on lire dans la Déclaration universelle sur la démocratie (1997). Les quotas en faveur des femmes sont des mesures temporaires exceptionnelles, encouragées par les Conventions Internationales notamment la Convention sur l’Élimination contre toutes les formes de Discrimination à l’égard des Femmes (CEDEF) ratifiée par la Côte d’Ivoire le 18 décembre 1995. Leur réalisation est donc et avant tout une véritable question de volonté politique. En cela, le Chef de l’État de Côte d’Ivoire, SEM Alassane Ouattara a dans sa volonté de faire respecter le genre, intégré dans la Constitution Ivoirienne de 2016,  la parité pour la promotion des droits politiques de la femme et sur le marché du travail en ses articles 36 et 37. Ce qui est à saluer dans la mesure où la Constitution de 2000 ne la prévoyait pas.

Toutefois, au regard de la réalité des faits qui laissent entrevoir des obstacles sévères à la promotion des droits politiques et économiques des femmes, l’adoption d’une Loi sur la parité incluant le système de quota suffira-t-elle à résoudre efficacement ce problème de la sous-représentativité des femmes ???

         Si les quotas sont un meilleur moyen de promouvoir la représentativité des femmes dans les instances décisionnelles, l’une des plus grandes difficultés, des problèmes majeurs de ces dernières en politique est le manque de soutien financier au sein des partis politiques pour mener à bien leurs campagnes électorales. En effet, les femmes disposent généralement de moins de ressources financières que les hommes pour entrer en politique. D’où la nécessité pour l’État de prendre des mesures incitatives comme la mise en place de fonds spéciaux à mettre à la disposition des femmes candidate pour les aider à couvrir les frais liés à leur campagne. À cela s’ajoute le choix des modes de scrutin qui est un point déterminant pour assurer leur élection. Car une chose est de permettre aux femmes de se présenter aux différentes élections, une autre est de leur assurer la victoire ! On distingue généralement le scrutin majoritaire – qui peut être uninominal ou plurinominal – et le scrutin proportionnel. En moyenne, selon l’Union Inter Parlementaire, en 2012, les scrutins proportionnels ont permis d’élire 25 % de femmes au Parlement. En Europe, on observe que la très grande majorité des États membres de l’Union européenne utilisent la représentation proportionnelle de liste pour élire leurs députés. Dans ce type de scrutin, les électeurs votent pour un parti et parfois pour des personnes, et les sièges sont répartis proportionnellement aux suffrages recueillis par les différents partis. On y distingue : les listes bloquées[1], les listes ouvertes[2] et les listes libres[3]. Ce système encourage les partis à rassembler davantage en incluant des femmes sur leurs listes. La représentation proportionnelle est aussi le système qui se prête le mieux à l’application des quotas. Le scrutin majoritaire par contre permet d’attribuer un (scrutin uninominal) ou plusieurs (scrutin plurinominal) sièges à celui ou ceux qui ont obtenu le plus de voix. Avec les scrutins majoritaires, les femmes ont plus de mal à accéder aux fonctions électives. En 2012, elles ont remporté 14 % des sièges à pourvoir au scrutin majoritaire. Le scrutin majoritaire uninominal demeure un système préjudiciable à la parité en ce sens qu’une présentation d’un nombre égal de candidates et de candidats ne garantit en rien une issue paritaire de l’élection. On constate également que souvent, les candidates sont désignées dans des circonscriptions particulièrement difficiles et n’ont donc que peu de chance d’être élues. Il existe aussi des scrutins majoritaires plurinominaux de liste qui attribuent tous les sièges à la liste arrivée en tête (comme lors de la désignation des grands électeurs pour la présidentielle américaine). Ce mode de scrutin reste peu utilisé car l’amplification de la victoire est alors très forte.

 Assemblee nationale IvoirienEn Côte d’Ivoire, le Code électoral prévoit en son article 68 nouveau que l’élection des députés à l’Assemblée Nationale se fait au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à un tour via le scrutin de liste majoritaire bloquée à un tour. Lequel choix de scrutin ne favorise pas dans les faits, l’élection des femmes aux postes électifs. Au choix du mode de scrutin favorable à l’élection des femmes, s’ajoute la promotion de l’accès des femmes aux responsabilités pour les postes auxquels on accède par nomination où beaucoup reste encore à faire à ce niveau.

Dans une démocratie, la gestion de la chose publique étant l’affaire de tous les citoyens et de toutes les citoyennes, il convient d’en tenir compte dans les nominations par la redistribution équitable des responsabilités. Cela en vue du respect des règles de la démocratie qui induit la promotion des droits politiques et économiques des femmes.

      Les pays africains réputés pour leur succès grâce aux quotas, bien que certains aient opté pour un scrutin majoritaire, ont dans leur Lois sur la parité, mis en place des sanctions comme la disqualification du processus électoral des partis politiques dont les listes aux différentes élections ne comporteraient pas le même nombre d’hommes que de femmes. C’est l’exemple du Sénégal ! La Namibie a quant à elle, adopté comme mode de scrutin, un scrutin proportionnel plurinominal. Depuis 2010, chaque parti politique est obligé de présenter une liste avec un nombre égal d'hommes et de femmes candidats. De même chaque ministre homme est tenu de choisir une femme en tant que vice-ministre. Pareil pour les suppléants : là où un homme est mis en avant, une femme doit suivre et inversement. Le Rwanda est aujourd'hui proche d'atteindre la parité de genre au niveau de son parlement grâce notamment à une consécration de la parité dans sa constitution mais aussi à la reconstruction sociale après le génocide de 1994. En France, pendant environ une vingtaine d’années, le taux de représentativité des femmes à l’Assemblée nationale est resté très bas. Ainsi en 2000, la Loi relative à l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, dite « Loi parité hommes-femmes » a été votée.  

Bien qu’ayant participé à rehausser quelque peu le taux de représentativité des femmes, ladite Loi française  n’avait guère amélioré le problème de la sous-représentativité des femmes à l’Assemblée Nationale. Ce, du fait de la sanction pécuniaire aux partis politiques en cas de non-respect de la parité sur leurs listes. Ces partis avaient préféré payer les amendes plutôt que de proposer des femmes aux législatives. Il aurait fallu dix-sept (17) ans après l’adoption de cette Loi pour qu’en juin 2017, 224 femmes fassent leurs entrées au parlement français sur un total de 577 Députés soit 38,8%.

            Au terme donc de ces analyses, il convient de retenir que l’égalité politique réelle ne peut être garantie sans « égalité participative » (participatory equality) comme le souligne Anne Phillips (1995). Le vrai moteur de changement est pour ainsi dire la volonté politique de féminiser le monde politique. Un système de quota ne peut donc s’établir sans la volonté des partis politiques d’encourager l’élection de femmes. Si cette volonté existait réellement, il n’y aurait pas de besoin de quotas. Mais comme elle peine à être perceptible, les quotas peuvent suppléer la forte volonté politique nécessaire. Ainsi, pour une meilleure efficacité, la probable Loi sur la parité en Côte d’Ivoire devra faire obligation aux partis politiques de présenter le même nombre d’hommes que de femmes sur leur liste sous peine de disqualification du processus électoral. Le recours à la loi peut cependant donner des cadres institutionnels mais si les mentalités et les pratiques au quotidien ne changent pas, rien ne change. C’est pourquoi la législation seule ne suffit pas : il faut que ces mécanismes soient étayés par l’évolution de la société, les réformes politiques et l'autonomisation, de façon à rendre ces mesures superflues. En plus d’assurer son application effective après son adoption, nous recommandons des mesures d’accompagnement en termes de mesures incitatives visant à l’instauration de fonds spéciaux pour aider financièrement les femmes en politique qui doivent être prise par le Président de la République de Côte d’Ivoire. La mise en place des fonds spéciaux de promotion du leadership féminin dans la gouvernance sont véritablement des outils favorisant la présence des femmes dans les postes électifs comme le recommande l’Union Interparlementaire dans son rapport  Parlements sensibles au genre, études mondiales de bonnes pratiques (2011). Egalement, des formations en renforcement de capacité des femmes en politique sont impératives pour l’atteinte d’une égalité en droits entre les hommes et les femmes.  Par ailleurs, le volet politique n’étant pas le seul où la sous-représentativité des femmes se fait ressentir, ladite loi sur la parité doit prendre en compte des quotas à respecter dans les nominations des postes relatifs à la gestion de la chose publique. À cela s’ajoute le problème du chômage des femmes dont le taux est beaucoup plus élevé chez elles que chez les hommes. Des quotas doivent de ce fait être imposés aux entreprises sous peine de fermeture ou de dissolution.

 

                                                                                                                                                                                                                                Abidjan, le 10/07/2017

 

Sylvia APATA,                                                                       

Juriste, Experte en Droits de l’Homme et Action Humanitaire,

Spécialiste des Droits des femmes en Afrique.

 

NOTES:

[1] Les partis politiques déterminent l’ordre dans lequel leurs candidats se verront attribuer des sièges éventuels, et l’électeur approuve l’intégralité de la liste sans pouvoir modifier cet ordre.

[2] Avec les listes ouvertes, l’électeur peut exprimer sa préférence pour des candidats particuliers, modifiant ainsi l’ordre de placement sur la liste (panachage). On peut citer les élections en Vallée d’Aoste où les voix sont attribuées à des listes de candidats concurrentes : l'électeur peut exprimer sa préférence exclusivement pour des candidats de la liste qu'il vote. Le nombre maximum de préférences est fixé à trois.

[3] Les listes libres (plus anecdotiques) : l’électeur peut même choisir entre des candidats de différentes listes.

Bibliographie indicative

Mémoire :

  • Seynabou Ndiaye SYLLA, Femmes et politique au Sénégal, «Contribution à la réflexion sur la participation des femmes sénégalaises à la vie politique de 1945 à 2001», mémoire de D.E.A Etudes Africaines : Option Anthropologie juridique et politique, Université de Paris I – Panthéon – Sorbonne, 2001, 106p.

Rapports :

  • Pascale BOISTARD : Femmes et politique, promouvoir l’accès des femmes en politique : la question des quotas, Projet de rapport, Ottawa, 2014, 28p.
  • Conseil National des Femmes du Luxembourg : Promouvoir la participation des femmes à la prise de décision (2) – Quelles sanctions ?, CNFL, Luxembourg, 2013, 3p.
  • OCDE : Rapport sur l’initiative de l’OCDE pour la parité : l’égalité entre hommes et femmes en matière d’éducation, d’emploi et d’entrepreneuriat, Paris, 78p.
  • Union Interparlementaire (UIP) : Les femmes au parlement en 2016, Regard sur l’année écoulée, Genève, 2017, 12p.
  • Fédération Canadienne des Municipalités : promouvoir le leadership des femmes dans la gouvernance locale : les associations de gouvernements locaux aident les femmes à relever le défi, Ottawa, 2009, 12p.

Instruments internationaux :

  • Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes de 1979.
  • Protocole à la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique de 2003.

Lois

  • Constitution Ivoirienne de novembre 2016
  • Loi ivoirienne n° 2000-514 du 1 er aout 2000 portant code électoral

Webographie :

Date de dernière mise à jour : 23/10/2023

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